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  • Photo du rédacteurJardin sur Cour

Le Jeu d'Anatole : Cinq époques en une pièce, le pari fou !




Le Jeu d'Anatole ou les Manèges de l'Amour fait tourner des têtes. La pièce musicale produite par Jardin sur Cour se déroule à cinq époques différentes. Au travers de cinq histoires d'amour, les comédiens emportent les spectateurs dans une ronde qui virevolte entre 1910 et 1990.


Dans ce siècle bouillonnant, comment incarner chaque époque ? Comment faire voyager le spectateur via les costumes, les décors et la musique tout en conservant un fil conducteur ? Interview croisée de Natacha Markoff, scénographe, Julia Allègre, costumière et Sébastien Ménard, directeur musical.


Le Jeu d'Anatole ou les Manèges de l'Amour est au Festival OFF d'Avignon dès le 7 juillet ! Retrouvez la troupe au Théâtre L'Arrache-Cœur.



Scénographie : Natacha Markoff s'est inspiré des Grecs




Par quels moyens le travail scénographique en général peut-il refléter l’époque à laquelle une pièce se déroule ?


Le travail scénographique en général n’est pas nécessairement illustratif. L’époque à laquelle se déroule une pièce n’a pas toujours de l’importance. C’est souvent des questions d’espace et de mouvement qui se posent au départ.


Dans Le Jeu d’Anatole, il était primordial d’illustrer le temps qui passe par un mouvement rotatif évoquant une ronde ou un manège. Les 5 styles caractérisant les 5 époques que traverse la pièce devaient eux aussi exprimer le passage du temps, quitte à jouer des clichés. A priori, la recherche de réalisme devrait empêcher qu’une action qui se passe en 1970, par exemple, ne se fasse qu’avec du mobilier pop orangé ou des fauteuils Pierre Paulin.





En effet, la décoration et l’ameublement de nos lieux de vie ne changent pas radicalement comme on change de vêtement. Il est rare que pour suivre une mode on jette tout son mobilier. Mais dans ce cas précis, l’écueil de la « déco intégrale », était au contraire un parti pris narratif. Chaque objet, meuble, motif décoratif et accessoire, devait être immédiatement reconnaissable et emblématique de son époque.


Comment as-tu pris en compte la quintuple temporalité (1910, 1930, 1950, 1970, 1990) dans ta vision de la scénographie du Jeu d'Anatole ?


Avant de travailler stylistiquement cette quintuple temporalité, j’ai cherché un principe de transformation. Je voulais que la « chorégraphie des changements » se fasse toujours de la même manière, comme on tourne systématiquement les pages d’un livre. Les changements d’époque devaient être rapides et dans un mouvement circulaire comme une référence à la ronde et au manège.


Après moult réflexions et croquis de recherche, c’est en allant voir chez les Grecs que j’ai trouvé ma solution ! Dans l’antiquité, les Grecs utilisaient sur scène des « périactes », des structures à base triangulaire qui pivotent sur un axe central et permettent en tournant de présenter trois décors différents. Solution plus légère et adaptée qu’un sol tournant ! A la différence des Grecs j’ai créé des meubles à l’intérieur de mes structures tournantes de sorte que j’ai pu donner un semblant de réalisme tout en jouant avec les conventions théâtrales.

Ces sortes de petites vitrines, circonscrites dans mes structures tournantes, devaient représenter les années 10, 30, 50, 70 et 90 à Vienne.




Soucieuse d’une certaine vérité historique, je me suis beaucoup documentée. Cette phase de recherche iconographique est toujours très stimulante. Je suis une chercheuse compulsive qui a besoin d’énormément de matière pour faire ensuite mes choix.


Quelles difficultés ou questionnements as-tu rencontrés et quelles réponses as-tu trouvées ?


Une des principales difficultés dans la conception, était de montrer autant de lieux sans envahir l’espace avec trop d’objets et que les comédiens n’aient pas de déménagement à faire entre chaque acte ! Qui plus est, les contraintes d’exploitation et budgétaires allaient dans ce sens. Aussi, une fois le principe des structures tournantes trouvé, comment représenter 5 tableaux avec les 3 côtés du périacte ? Deux mêmes côtés devaient représenter deux époques différentes. Ce que je peux dire c’est qu’avant de tourner sur scène, ces structures ont énormément tourné dans ma tête ! Croquis et maquettes m’ont aidée à concrétiser tout ça. Des astuces de meubles à transformation ont fait partie des réponses.


Autre exemple de questions qui peuvent se poser : pour le tableau en 1910, sachant que les caractéristiques du mouvement Art Nouveau Viennois (le sécessionnisme) diffèrent de l’art nouveau français, comment faire pour que notre public identifie immédiatement le début du siècle ? Pour le motif peint sur le secrétaire à abattant, j’ai fait un mix et choisi le plus français des motifs viennois, pas trop géométrique et plus en courbe.

Même si ça parait exagéré, ce genre de détail compte. Le décor parle à sa manière !



Costumes : Julia Allègre a prévu des changements de costumes rapides




Quand on veut refléter une époque via des habits et accessoires, on peut tomber dans une forme de caricature. Mais d’un autre côté, il faut que le spectateur soit immergé dans la période. Comment doser la subtilité du message via les costumes ?


Ce qui est important avant tout c’est de faire des recherches historiques précises sur l’époque concernée par le biais de livres, documents, peintures et de s’en imprégner. Je réalise pour cela des moodboards qui me suivent pendant la période de création.

Ensuite il faut faire un choix de costumes ou accessoires suffisamment clair pour les spectateurs.


On peut être proche d’une réalité historique ou s’en détacher si on souhaite quelque chose de plus créatif mais le côté « caricatural » ou « déguisement » vient à mon sens des matières et des coupes.


Prenons l’exemple d’une queue de pie :

Si elle est mal coupée ou réalisée dans un tissu de mauvaise qualité de type satin synthétique elle ressemblera à un déguisement alors que si elle est bien taillée et réalisée dans un beau lainage de qualité elle ressemblera à un costume d’époque. Pourtant dans les deux cas c’est une queue de pie.




Cinq époques en une pièce, cela veut aussi dire quatre changements de costumes. Quelles parades as-tu trouvées pour faciliter les transitions ?


En effet, il m’a fallu réfléchir aux changements rapides. C’est assez fréquent au théâtre mais la difficulté dans ce spectacle c’est de passer d’une époque à l’autre. Passer des années 50 aux années 70 par exemple, c’est compliqué car ce sont des époques tellement différentes que l’on ne peut garder aucun élément.

Par moment les costumes sont portés sur d’autres, certains éléments sont réutilisés, un peu de velcro, des manteaux, des comédiens et une comédienne très bien organisés, mais je peux vous dire que ça ne chôme pas derrière le rideau.




As-tu cherché à créer une continuité dans les tenues d’Anatole et Max, comme une évolution ?


Les tenues d'Anatole évoluent effectivement en fonction des époques mais j’ai voulu garder sa personnalité à travers le temps. Il reste un homme élégant et soigné même en pyjama années 70.


Quant à Max, il garde toujours la même tenue. J’ai fait ce choix qui me semblait plus intéressant. Il traverse les époques de façon un peu fantomatique. Il pourrait être la conscience de Max, ou le vieil ami qu’on ne voit pas changer, figé dans le temps.



Musique : Sébastien Ménard a misé sur la magie d’Offenbach



Dans quel état d’esprit aborde-t-on la direction musicale d’une pièce quand le matériau de base est celui d’un célébrissime compositeur comme Jacques Offenbach ?


La mission était de garder les mélodies de Jacques Offenbach tout en y important des marqueurs musicaux forts, qui devaient marquer la temporalité des différents moments de la vie d’ Anatole.


Cela a été très amusant de garder l’essence même des mélodies ultra connues et d'y apporter quelques touches harmoniques sonores différentes qui nous font partir ailleurs.

Les arrangements devaient respecter l’époque de la scène et aussi coller à l'intrigue de la pièce.



Comment as-tu choisi la sonorité de chaque époque ?


Pour choisir la sonorité, nous nous sommes concertés avec Hervé [Lewandowski, metteur en scène, ndlr] et Geoffrey Bouthors (arrangeur) sur les marqueurs musicaux des différentes époques que nous traversons dans la pièce. Il est important que cela sonne comme à l'époque. Pour les années 1910 nous sommes restés dans un style néoclassique avec un trio de cordes alors que les années 70 sonneront plus rock psychédélique. Donc l'instrumentation, la stylistique, la façon de chanter doivent s'adapter.


Il y a certains mélanges détonants dans la pièce. Quelle a été ta méthode de travail pour mixer tout ça ?


C’est là la magie d’Offenbach et des grands compositeurs en général. C'est que peu importe le style que nous employons, cela sonne. Il suffit de bien penser les sonorités et les façons de les jouer. Pour mixer tous ces morceaux ensemble, le fait que cela soit le même compositeur m'a aidé à faire le lien entre toutes les époques.


Le Jeu d'Anatole ou les Manèges de l'Amour est au Festival d'Avignon dès le 7 juillet !

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